Lettrée et mécène avant l'heure, la duchesse Anne de Bretagne, devenue reine de France par ses mariages avec Charles VIII puis Louis XII, introduit les femmes au cœur de la royauté en créant une maison de la reine.
La cour de France est n'est alors qu'un monde d'hommes, capitaines et serviteurs du roi. Ceux qui la rejoignent viennent seuls, laissant à leurs épouses la garde de leur demeure et l'éducation de leurs enfants.
Dès les premières années du XVIe siècle cependant, l'entourage des rois Valois s'est ouvert aux femmes. Brantôme, en connaisseur, l'assure: « Une cour sans dames, c'est un jardin sans fleurs » Le rappel par le chroniqueur de la «coutume ancienne» prive François1er du rôle de précurseur. En effet, l'introduction des dames à la cour revient... à une femme, Anne de Bretagne (1477 1514), fille du duc de Bretagne François II, qui, à deux reprises, a présidé la cour aux côtés de ses maris successifs, Charles VIII puis Louis XII.
Magnificence et « honnêteté
L'ancienneté de l'initiative bretonne est soulignée par notre chroniqueur. «Ce fut la première [Anne de Bretagne] qui commença à dresser la grande cour des dames, que nous avons vue depuis elle jusqu'à cette heure ; car elle en avait une très grande suite, et de dames et de filles. » Ainsi la maison du roi enregistra une première poussée de croissance. À la fin du XVe siècle, Anne de Bretagne, sollicitée par les gentilshommes de sa province, trouva dans la création d'offices à la cour de Charles VIII et de Louis XII le moyen de soulager leur pauvreté.
Contemporaines, les premières expéditions françaises en Italie favorisèrent, pour la nécessité du voyage, le développement des offices domestiques. L'aventure italienne achevée, ils furent maintenus. Ainsi, avec ses 366 officiers en1495, la maison royale était quatre fois plus nombreuse que sous Louis XI. Sans doute les femmes, au Moyen Âge, étaient-elles reçues à la cour, ornements des bals et spectatrices des combats courtois. Mais elles n'y résidaient pas constamment. Anne de Bretagne les fixe, créant une maison de la reine dont les charges étaient partagées entre une dizaine de dames et une quarantaine de filles d'honneur. François 1er suivit son exemple et l'amplifia.
Reines et princesses eurent chacune désormais leur maison accueillante aux dames et demoiselles nobles. Leur présence permanente a transformé le caractère de la cour. Celle-ci y a gagné en élégance et politesse. Dans le domaine de l'habillement, Anne a lancé quelques nouveautés heureuses mais sévères. Coiffe «honnête» et cotte simple respiraient la vertu...
• • • À sa suite, François 1er veilla à la magnificence des habits. «Les dames eurent de lui de grandes livrées d'habillements. J'ai vu, note un témoin, des coffres et garde-robes d'aucune dame de ce temps-là, si pleines de robes que le roi leur avait données en telles magnificences et fêtes, que c'était une très grande richesse.» La comptabilité royale le prouve : au fil des années, elle mentionne le paiement d'un nombre considérable d'aunes de velours noir, de taffetas blanc et noir, de toiles d'or et d'argent, de satin rouge et autres tissus précieux. Après Anne de Bretagne et François 1er, l'usage se maintient.
Les femmes de la cour contribuent enfin à policer les mœurs des gentils hommes. La sociabilité avait tout à gagner aux rencontres quotidiennes des gentilshommes et des dames dans les galeries des châteaux.
Ornements de la cour, les dames ont été aussi les auxiliaires de la civilité. Ici aussi la princesse bretonne devenue reine de France fait figure de précurseur. On devine, dès le temps d'Anne de Bretagne, que la gloire des armes ne suffit pas à faire la grandeur des rois. La protection des lettres est désormais indispensable à leur renommée, car les princes, assure Ronsard, «vivent après leur mort pour n'avoir été chiches, vers les bons écrivains et les avoir fait riches». Anne, par souci de prestige et amour des arts, groupe autour d'elle hommes de lettres, panégyristes, traducteurs et poètes. François1er en hérite, et, doué d'une vive curiosité et d'un goût particulier pour la poésie, il s'ouvre aux courants intellectuels de son temps. Plus que quiconque, et à la suite d'Anne de Bretagne, il est protecteur des écrivains. La duchesse, à qui l'on avait appris à lire et à écrire en français alors qu'elle maîtrisait mal la langue bretonne, avait rassemblé autour d'elle des humanistes comme Fauste Andrelin, des chroniqueurs comme Jean Lemaire de Belges, un rhétoriqueur, Jean Marot, auxquels il convient d'ajouter des musiciens comme Johannes Ockeghem et Jean Mouton, faisant de la duchesse la première reine de France à apparaître comme une mécène recherchée.
(source Reines et Femmes illustres)